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Embrun 2003

Eté 1992, jeune animateur de centres de vacances, je suis en camp d’ados aux Crots, à côté d’Embrun. Le 15 août, comme une grande partie de la population locale, nous sommes au plan d’eau pour profiter des animations. Je fume alors consciencieusement mon paquet de cigarettes chaque jour, ne dédaigne pas boire un coup (ou même souvent plus) au bar du coin et ne connaît du sport que celui que je pratique depuis des années, le skate ! Je me vois bien entrer en fac d’histoire après mon bac, mais sans conviction. Une foule immense, des gens qui courent, d’autres à vélo, un speaker qui parle de choses qui me passent très loin au-dessus de la tête. Le triathlon vient de croiser ma route mais il est encore trop tôt.

 

En 2002, ma vie tourne autour du sport et de la natation en particulier. Mes études en STAPS se sont arrêtées deux ans auparavant, un bac + 5 en poche. Après une année où j’ai été maître-nageur-animateur-formateur-entraineur au sein de mon club, j’ai fait le choix depuis peu de jongler avec un emploi en tant qu’enseignant d’éducation physique et du quasi bénévolat en tant qu’entraîneur de ce club de natation.

Je m’occupe d’une trentaine de jeunes, de minimes à juniors. Muscu, entrainements, compétitions, stages, je suis à fond dedans. Par contre à entraîner les autres, je me suis un peu oublié.

Puis vient ce jour d’hiver 2002 où j’accompagne un pote dans « ma » piscine et où je me mets à l’eau, une fois n’est pas coutume. J’y retrouve bizarrement le plaisir de nager. Presque une révélation. Peu de temps après, j’accompagne une copine en vélo. Elle est triathlète et a un entraînement à suivre. Ça m‘amuse et je la suis, enchaînant hyperfréquence, plaque, accélérations et récupérations.

Que n’avais-je fait là ? Je ne le savais pas encore mais j’étais déjà foutu. Le virus venait de rentrer en moi.

Au mois de juin je participe à mon premier triathlon, un sprint à Avignon. Dans l’été une course à pied par ici, un aquathlon par-là, je me retrouve à Embrun mi-août. Et devinez quoi ? Je recroise la route du triathlon dix ans après. 6h du matin, je suis au bord de l’eau à suivre le départ de ces « fous ». Toute la journée je zonerai au plan d’eau, regardant avec respect, crainte et envie ces athlètes. Je sais maintenant de quoi le speaker parle. Je suis affranchi. Je me fais alors une promesse. En 2003, pour les 20 ans de la course et quelques mois avant mes propres 30 ans j’y serai !

 

Le lendemain, je monte sur mon vélo et prend la direction du parcours. Rien de plus simple, il est fléché des EM jaunes. Je fais la grande boucle Embrun-Guillestre-Briançon-Embrun. Le surlendemain ce sera la « petite »Embrun-St Apollinaire-Savines-Embrun. Ça c’est fait, je suis capable de faire la partie vélo.

La natation est loin de m’effrayer. Je me suis remis à l’eau depuis plusieurs mois et je partage mon temps au club à entraîner et à être entraîné. Je nage entre 10 et 15 kms chaque semaine.

A l’automne j’ai participé à Marseille-Cassis et au printemps au marathon de Marseille. J’ai souffert par inexpérience mais je sais que je suis capable de courir 42 km.

Je me prépare durant tout l’hiver puis le printemps. Je cours peu (ça ne me plait pas à l’époque), je roule plusieurs fois par semaine et je fais même un séjour dans les Pyrénées pour enchaîner les cols. Quelques triathlons sprints, un LD puis un CD pour les transitions, je suis prêt ou du moins l’espère.

 

La semaine précédente, je loge en camping à 15 km du plan d’eau. Des trajets en plus mais une tranquillité appréciable en cette saison. J’y rencontre deux autres triathlètes plus chevronnés que le Padawan que je suis : un hollandais volant, Henri et William un parisien. Tous deux sont déjà Embrunmen et visent des temps qui me semblent inatteignables. Ça ne m’empêche pas de boire leurs conseils.

 

15 août 2003, 6h du mat je retrouve le bord de l’eau mais cette fois de l’autre côté des barrières. J’y suis. J’en suis.

La musique de 1492 n’a pas la même saveur que l’année précédente. J’en ai des frissons. Etienne Caprin, triathlète handisport ouvre le bal, les filles partent ensuite et cinq minutes après c’est enfin notre tour.

J’avais décidé de partir prudemment, mais ça c’était avant. Sur les premières longueurs ça bastonne. Ils sont fous, on en a pour une heure de nage au moins, y’a pas besoin de se fritter. On dirait un courte distance tellement ça bouge. Jusqu’à un hargneux qui veut me monter dessus à grands coups de poings. Il en sera pour ses frais, son épaule me faisant un magnifique appui. Non mais !

La natation dans le plan d’eau c’est chiant et monotone. Heureusement qu’il y a les algues au fond, avec lesquelles je m’amuse, en les touchant du bout des doigts… Une boucle, puis deux. L’aube apparaît, le jour se lève lorsque j’arrive à la plage.

Je sors en 57’. Et oui à l’époque je nage beaucoup et ça me réussit.

Un change complet pour éviter d’avoir froid et j’enfourche mon destrier. A Embrun le vélo est plat… sur les 200 premiers mètres… Virage à gauche et c’est parti pour la première montée du jour, direction Puy Sanières. Je suis pris dans un flux continu de cyclistes qui me doublent. Sans m’en rendre compte je pars vite, beaucoup trop vite. Heureusement un coup d’œil au cardio me ramène à la raison et je laisse filer ces avions de chasse. C’est le piège d’avoir un niveau en natation supérieur au reste : on se retrouve avec des mecs beaucoup plus forts.

St Apollinaire arrive et c’est la descente vers le lac. Savines suit. Retour sur Embrun alors que William me double. Je ne cherche même pas à le suivre, j’ai pas son niveau en vélo. Les kms s’égrènent et se suivent. A Guillestre je double Etienne Caprin. A tous nos encouragements il répond gentiment « à tout à l’heure », au moment où il « courra » sur son fauteuil et doublera la plupart d’entre-nous. Puis c’est les gorges du Guil que je connais comme ma poche, puis la bifurcation vers Arvieux, puis le col de l’Isoard. Une longue montée, quasi interminable, alternance de coups de cul, de lignes droites sans fin et de virages en épingles. La casse déserte et sa petite descente a un air de fin mais il reste encore un bon km jusqu’au sommet du col.

Ca y est j’ai vaincu l’Isoard. J’enfile un coupe-vent que j’avais laissé avec le ravito perso qui m’attend au sommet, je me réalimente et c’est parti pour la descente sur Briançon. Descente longue et technique mais qui me fait du bien au moral. Je me régale !

A l’arrivée sur Briançon, des invités surprise m’attendent : mes parents et mon frère qui sont montés de Marseille pour m’encourager et la pluie qui se met de la partie, histoire de compliquer les choses.

L’averse ne me suit pas, contrairement à mes parents qui filment et photographient la deuxième partie de mon périple cycliste. Les kilomètres s’égrènent jusqu’à l’Argentière où prudemment je m’enfile un gel avant la montée de Palon.

Cette montée ne peut parler qu’aux Embrunmen. C’est, comment dire ? un mur. Une ligne quasi droite d’un peu plus d’un km à 16%. Le genre de truc démoralisant car on voit l’arrivée… qui n’arrive pas. Des montées à 16% on en a tous quelques-unes dans nos souvenirs. Le problème ici c’est qu’elle survient après tout ce qui a précédé. Gare à celui qui ne l’a pas anticipée. L’erreur se paie cash !

Une fois cette « grimpette » passée et la redescente très technique vers l’aérodrome bien négociée, il ne reste « plus » qu’à rejoindre Embrun. Petites montées, descentes sinueuses, routes en balcon avec vent de face bien entendu, et c’est le pont au-dessus de la Durance que voici. Je croise des coureurs déjà partis sur le marathon. Attendez-moi, j’arrive ! Ou plutôt partez sans moi, j’ai oublié la dernière réjouissance de la journée. Et oui, à Embrun, quand il n’y en a plus, ben y’en a encore ! Et pas qu’un peu ! Voici la côte de Chalvet. Une petite route qui serpente dans la ville et ses hauteurs. Juste pour avoir un aperçu complet du parcours du marathon. Fallait pas, je vous assure, c’était pas nécessaire… Huit kms environ de montée bien pentue et de descente TRES sinueuse au milieu des fermes et des lotissements. 

Bon une fois tout ça fini, on va peut-être enfin pouvoir poser le vélo, non ? Le parc arrive. La dernière ligne droite est entourée d’une forêt de spectateurs qui encouragent, applaudissent, rigolent, crient. Il y en a autant pour nous, retardataires cyclistes que pour les coureurs qui bouclent déjà leur premier tour.

Je pose pied au sol, marche puis trotte et rejoins ma place. Une kiné me propose un massage des jambes pendant que je me change. Pourquoi pas ? Lorsque je me lève, miracle, je sens que mes guiboles ne vont pas trop mal.

Et c’est parti pour le marathon ! 4 mois auparavant j’avais couru mon premier marathon sec à Marseille. Sans connaissance sur la distance ni sur la gestion de course, j’étais parti presqu’aussi vite au premier semi qu’à Marseille-Cassis. J’avais alors connu les affres d’un deuxième semi très pénible.

Ici la donne est différente et si j’avais l’idée de partir vite, le début de la journée serait là pour m’en dissuader. Du coup, je ne m’occupe pas des autres concurrents ni du chrono et fais ma course à ma main, n’hésitant pas à marcher dans les montées (qui sont rudes dans le coin) et à trottiner plus qu’à courir lorsque je peux.

Je dois en être au 2è ou 3è km lorsque je croise Cyrille Neveu qui est sur le point d’en finir et de gagner la course. Même pas de coup au moral mais un aperçu de ce qui me sépare du très haut niveau.

Après la montée dans la rue piétonne (un grand moment entre plaisir d’être encouragé et envie de me poser à l’une des tables de bar pour commander un coca ou une glace comme le font tous ces touristes qui nous applaudissent), place à la digue, un aller-retour interminable sur une ligne droite qui longe la Durance. Pour moi un enfer que d’aller dans un sens, sachant que l’on va devoir en revenir.

Puis c’est la montée vers Baratier et le retour vers le plan d’eau. C’est enfin le passage sur la ligne d’arrivée, oui mais juste au semi, pour le moment. Dans un coin de ma tête je fais le point. Je me sens fatigué certes, les jambes sont lourdes certes, mais je n’ai pas de douleurs particulières et tout semble fonctionner. A ce moment-là je sais que ça ira, que j’irai au bout. Oui, il me reste encore un semi, il sera long et difficile mais je suis sûr maintenant que je serai finisher.

Et c’est reparti alors pour un tour. Les rues se vident, les spectateurs sont moins nombreux à nous encourager, il y a moins de concurrents et je me fais de moins en moins doubler (et double de moins en moins). Et en plus la nuit tombe ! Bref ça sent la fin d’épreuve et je sais que, question classement, je serai loin de la tête de course. Mais peu m’importe, je veux ce T-Shirt et je l’aurai. Sur la remontée vers Baratier, je vois l’inscription au sol qui m’indique qu’il me reste « plus que » 10 kms. Et ça, ça me tue. A ce rythme c’est encore au bas mot 1h15 d’effort à fournir !!! Là j’en ai marre et j’ai un coup au moral.

Malgré tout pas après pas, mètre après mètre, je me rapproche de l’arrivée. Encore un passage par Baratier, encore un dernier tour de lac, puis on, contourne la piscine et je descends à nouveau la fameuse dernière ligne droite. Cette fois-ci c’est la bonne. Je lève les bras, baisse la tête et après 14h46 d’effort, je deviens Embrunman.

 

Cette course je l’ai vécu comme un pari fait à moi-même. Suis-je capable de franchir tous les obstacles que le GO de la course a mis sur mon chemin. Pris sur ce mode, c’est finalement un jeu que j’ai joué durant toute cette (très longue) journée. Une succession de défis à relever avec la question de savoir si j’en suis capable. Avec cet état d’esprit

 

 

 

Commentaires

  • Mais je ne me trompe pas, c'est de moi qu'il parle ! Cette même année à Embrun Nico découvre que la bière est compatible avec une préparation pour l'Embrunman.

    Je me souviens t'avoir doublé à vélo après Savine.

    William

  • Oui c'est bien de toi qu'il s'agit. Dans mon souvenir tu m'avais littéralement déposé dans la montée avant Crots.
    Quant à l'association bière-effort je suis toujours croyant et même pratiquant, mais je préfère après l'effort plutôt qu'avant !

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